ERIC SEUGNET
LES RHÔNELÉZIENS
Eric Seugnet, châtelain éphémère (9/7/22)
Un général en campagne
Pas de doute, le gars est calme. Autour de lui, le vrombissement des tondeuses, le ballet des dernières livraisons, toute une équipe qui s’affaire : le lendemain on inaugure en grande pompe le château des Barrenques à Lamotte-du-Rhône, configuré pour accueillir mariages, réceptions privées de standing et tourisme d’affaires, et dont il est désormais le responsable. Un lieu superbe, un authentique château du XVème siècle tout juste racheté par Domaines & événements au couple Elizabeth et Didier Levy qui avait consacré les vingt dernières années à en assurer patiemment la réhabilitation.
Une inauguration ? Pas de quoi impressionner Eric, à 64 ans il en a vu d’autres. Et s’il garde un œil sur les préparatifs et répond avec le sourire aux sollicitations, rien ne l’empêchera d’évoquer son histoire près de trois heures durant, confortablement installé au milieu du parc.
« rendons l’éphémère inoubliable »
C’est que l’évènementiel, Eric est tombé dedans quand il était petit, comme un héritage familial. Nous sommes dans les années 60, l’essor du tourisme invente le développement des plages, avec clubs de vacances, transats et restaurants. En pionnier, le père d’Eric Seugnet s’installe sur une plage des Landes et en fait, quatre mois par an, un lieu de vie, de plaisirs, de loisirs. Un univers fascinant pour le jeune Eric qui très vite obtient de ses parents l’autorisation de faire l’école buissonnière en juin pour aider au montage de ce monde éphémère.
Et en hiver ? Bon sang ne saurait mentir, la famille est adhérente de Servas, association internationale créée au sortir de la deuxième guerre mondiale pour œuvrer à la paix en tissant un réseau d’hospitalité pour les voyageurs du monde entier. Esprit de fête, rencontres, convivialité et humanisme… Eric a été à bonne école. « L’éphémère provoque des choses qui durent », martèle celui qui toute sa vie aimera à recréer ces moments de grâce.
terre des hommes, terre de rencontres
Attiré par les voyages et soucieux de se rendre utile, Eric se rêve dans l’humanitaire. Las, le service civil qu’il effectuera dans une ONG lui ôtera ses illusions, il en reviendra choqué par un « système vicié » qui lui demande de « travailler à la sédentarisation des Touaregs pour faciliter la production des mines d’uranium ». Retour à la plage familiale, donc, qu’il tiendra jusqu’en 1986.
A l’orée de ses trente ans, Eric Seugnet prend son envol, monte son entreprise et se prépare à dédier sa vie à l’organisation d’évènements, avec déjà un credo : proposer des lieux de fêtes et de partage, en pleine nature, tout en respectant l’environnement, mais aussi les femmes et les hommes avec qui il travaille. Le hasard des rencontres et l’énergie du bonhomme feront le reste pendant 25 ans, depuis la création de Cap Esterel où il fera ses premières armes jusqu’à ces campements nomades (un souvenir des Touaregs ?) qu’il participera à populariser en France pour l’organisation de réceptifs originaux.
Le château des Barrenques ? Encore une histoire de rencontres. Celle avec Domaines & évènements, d’abord. Intrigué par ce nom, qu’il découvre via les réseaux sociaux, Eric n’hésite pas et, après un premier contact téléphonique, monte à Paris rencontrer les fondateurs, par curiosité. Bingo, ils se rejoignent sur l’amour de la pierre, de ces bâtisses chargées d’histoire pour lesquelles il faut maintenant inventer un modèle de développement qui permette d’en assurer la sauvegarde.
Deuxième hasard, un appel de Didier Levy, intéressé par les tentes qu’Eric commercialise. « Si l’entretien dure plus d’un quart d’heure, on fait affaire », prévient celui qui est encore propriétaire du château des Barrenques. Deux heures plus tard, les deux hommes se tutoient et quelques semaines après, Eric joue l’entremetteur, met en relation Didier Levy et l’équipe Domaine & évènements. Affaire conclue en février 2021, le château est parti pour une nouvelle aventure.
le chateau des barrenques, lieu d’exception
Un château privatisé avec ses 14 chambres, 6 hectares de parc, 16 tentes lodge en extérieur, de quoi accueillir 280 invités et en coucher 90, voilà un joli terrain de jeu pour le nouveau responsable qui vise l’organisation d’une quarantaine de mariages par an, pour une clientèle française et internationale attirée par ce joli coin de Provence.
Pour autant, Eric ne compte pas faire du domaine une bulle de luxe isolée à l’écart de Lamotte et de ses habitants. La preuve, les bonnes relations qu’il tisse avec les voisins agriculteurs ou la volonté de travailler avec les fournisseurs et artisans locaux. Et pour continuer à ouvrir ce château qui a durant des siècles fait partie intégrante de la vie du village, il réfléchit déjà aux Journées du Patrimoine ou à l’organisation, dans le parc, d’animations culturelles, théâtrales, musicales… Une manière de rendre au territoire un peu de ce que ce dernier lui offre avec ce patrimoine à qui il veut offrir une nouvelle vie.
le sens de la fête, le goût du terroir
De son grand-père paysan, de ses racines gersoises, Eric Seugnet a gardé l’attachement à la terre, aux coutumes, à ces demeures qui ont traversé le temps. Il faut l’entendre, accoudé au plus vieil if du parc, raconter comment, traditionnellement dans les familles, le fils aîné gardait la propriété tandis que le cadet n’avait pour choix que de rentrer en religion ou dans l’armée, souvent la marine. Et c’est ainsi que le parc est aujourd’hui parsemé d’essences rares, rapportées de périples lointains, en Afrique ou en Louisiane.
Homme de paradoxe, Eric Seugnet ? On pourrait le croire, à mêler ainsi la frivolité des soirées de fête et le souci de préserver l’homme et son environnement, l’éphémère des rencontres de hasard et le souci de la permanence des choses.
Sur cette ligne, Eric traverse la vie avec une gourmandise communicative. Au château des Barrenques, il se fixe trois ans avant de repartir dans son cher sud-ouest, avec sa femme. Nul doute que d’ici là il aura marqué le territoire de son empreinte, pas si éphémère que cela.
